jeudi 6 octobre 2011

L'entreprise est mise au défi de faire ses preuves sans le génie de son cofondateur. Une identité forte et une bourse confiante pourraient ne pas suffire. Par Claude Soula

l’histoire d’un homme aux doigts d’or, qui a réussi tout ce qu’il a touché, ou presque : Steve Jobs a même fait de l’argent avec Next, la société qu’il avait créé en quittant Apple,
sans grand succès, mais qu’il a revendu malgré tout à la marque à la pomme. Il est ainsi devenu richissime (plus de 8 milliards de dollars de fortune), tout en faisant d’Apple une des sociétés les plus riches de l’univers (elle possède plus de 75 milliards de dollars en cash disponible !) et une des plus valorisées en bourse (350 milliards de dollars). Sans oublier, au passage, qu’il a été l'un des créateurs de Pixar. Une entreprise qu'il a revendu à Disney, devenant ainsi un des principaux actionnaires de Mickey !


La question est maintenant de savoir si Apple peut survivre sans son génie.
Impossible de répondre, bien sûr, de façon certaine. La bourse, elle, le croit, puisque ni les annonces de sa maladie - mortelle, on le savait -, ni de son départ, ni sa mort, n’ont ébranlé sa valorisation : les analystes financiers pensent donc qu'Apple a pris assez d’avance sur ses concurrents pour pouvoir survivre et prospérer. Estimer que la société a la même valeur sans Jobs : un pari paradoxal, voire très optimiste.


Tim Cook, un expert en fabrication et en industrie
Certes, il y a du vrai dans ce jugement : la société ne va pas s’effondrer et son style va se perpétuer. Elle continuera à proposer des Mac, des téléphones mobiles et des tablettes d’une qualité supérieure à celle de la concurrence. Et étant donné qu'elle a des projets dans ses cartons pour un bon moment, les ventes devraient continuer à grimper.
L’inconnue, c’est pour après : comment va-t-elle innover ? De façon surprenante, Steve Jobs s’est choisi un successeur : Tim Cook, un expert en fabrication et en industrie. Il sait "délivrer", faire fabriquer par les usines chinoises et comment alimenter les magasins en bons produits de qualité. Saura-t-il décider ? Saura-t-il dénicher et porter la perle techno parmi les projets que vont lui amener ses ingénieurs ? Saura-t-il pousser ses équipes à bout pour les obliger à concevoir un produit parfait et facile d’utilisation ?


Exploiter sa renommée
Non, il n’aura pas les qualités de Steve, mais peut être Apple n’en a-t-elle plus - ou moins - besoin aujourd'hui. Le seul défi non relevé de la société, c’est la télévision : elle a tenté de le relever avec son Apple TV, un boitier qui n’a pas convaincu. Des rumeurs faisaient état, au printemps, du fait que le lancement d’un téléviseur était proche. Mais comment être révolutionnaire dans un domaine aussi ancien et grand public ? L'avenir dira si la marque profitera du départ de Steve pour lancer un appareil qui ne serait pas au niveau de rupture technologique habituel…
Car peut être qu'Apple va désormais simplement exploiter sa formidable renommée, son image de marque fabuleuse, pour vendre des objets "normaux", sur le modèle des industriels du luxe qui commercialisent leur renommée et leur talent sous forme de parfums et de lunettes produits en série, mais à prix d'or.


"C’est fini, Steve est fatigué"
Il y a quelques années, j’avais eu la chance de rencontrer Steve Jobs pour une interview avec quelques journalistes européens. La seule chose qui m’avait frappé, c’était la folie qui régnait autour de lui. J’avais alors réalisé qu’il était un gourou antipathique, qu'Apple était une secte, et que ceux qui l’entouraient étaient absolument terrorisés par sa seule présence. L'équipe européenne d'Apple ne savait rien de ce que voulaient ou pensaient faire leurs homologues américains, qui décidaient secrètement de tout. Les Américains voulaient tout contrôler, tout savoir de ce que nous voulions faire, nous les journalistes.
On nous avait donc demandé à l’avance de n’aborder que certains points et de laisser ce qui fâchait potentiellement Steve de côté. Quand la discussion avait débuté, il n’avait pas fallu longtemps pour que l’un d'entre nous pose, malgré tout, une de ces questions qui fâchent un peu. Steve l’avait bien pris, mais le staff autour de lui était décomposé de peur. Et cinq minutes plus tard, une matrone était intervenue pour tout arrêter, nous disant : "C’est fini, Steve est fatigué".


Des courtisans apeurés
C’était avant son cancer. La discussion, prévue pour durer 45 minutes, s'était arrêtée au bout de 15 minutes et Steve lui-même semblait surpris par l’intervention de la matrone. Surpris, mais soulagé quand même. J’avais eu l’impression que tout ce cirque ne montrait qu’une chose : Steve était entouré d'une bande de courtisans apeurés, tachant de lui faire plaisir, de répondre à ses désirs avant que ceux-ci ne se manifestent. Des gens qui seraient incapables de vivre sans lui, de respirer sans lui, de décider sans lui. C’est le  propre des génies irritables : ils ne supportent pas la contradiction et s’entourent de personnes médiocres : les seules qui peuvent se plier à leurs désirs.
Un talent va-t-il émerger et prendre les choses en main malgré tout ? C’est tout le mal qu’on souhaite à Apple : que Steve ait su engendre et former quelqu’un, que malgré ses apparences de tyran, il ait su transmettre. La société est assez riche et puissante pour s’égarer et faire quelques erreurs, mais si elle veut survivre longtemps, elle ne pourra s'accorder le luxe de décevoir ses fans et adorateurs…Faire vivre le mythe va bien être une gageure.

Claude Soula - Le Nouvel

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"Steve Jobs transcende les époques"

Daniel Ichbiah, biographe du co-fondateur d'Apple revient sur le parcours et l'oeuvre de Steve Jobs. Interview.



Qui est Steve Jobs sans Apple ?
- C'est un enfant adopté par une famille de la middle class. Il a eu la chance d'avoir un père d'une très grande bonté et qui très tôt a essayé de lui faire comprendre comment fonctionnait les objets. Steve Jobs a eu très vite la manie de démonter et remonter les objets.
Sa mère biologique avait posé comme conditions pour qu'il soit adopté qu'il puisse aller à l'université. Ce qu'il fera à 19 ans. Il est complètement dans une mouvance hippie et spiritualiste. Son grand rêve à l'époque est de partir en Inde et rencontrer les grands gourous. Cet esprit va le marquer et le pousser à vouloir améliorer le monde d'une façon zen. Cet héritage, on le retrouve d'ailleurs chez Apple avec des produits aux lignes épurées.
C'est un grand amateur de Bob Dylan et des Beatles. Avant de créer Apple, c'est un garçon un peu réservé et taciturne. Lorsque finalement il part en Inde, c'est la grande désillusion. Les gourous qu'il espérait voir sont en fait plutôt ridicules. Il va tomber des nues. Il revient aux Etats-Unis et trouve un job chez Atari, une société montante dans le jeu vidéo. Avec son ami, Steve Wosniak, un génie de l'informatique, il pense qu'il peut faire mieux que le premier micro-ordinateur. Il convainc alors, Steve Wosniak de monter la société Apple. Le hippie taciturne se transforme en businessman.


C'est un business man avant tout alors....
- Non pas vraiment. Ce n'était pas vraiment un businessman mais un séducteur. C'est quelqu'un d'extrêmement sûr de son fait. Il ne voit pas les objets comme des objets. Il a une vision d'artiste. Il a en fait été un artiste à la tête d'une entreprise. Ce qui a souvent provoqué des conflits en interne, parce qu'il imposait des produits que le marketing ne voulait pas.


Son passage chez Pixar aurait-il pu faire de lui un autre homme?
- Il est parti pour mieux revenir. Evincé d'Apple après l'avoir fondé, il a voulu créer une société de micro ordinateur qui s'appelait Next. Il a commercialisé un ordinateur extraordinaire mais qui n'a pas trouvé son public sûrement parce que c'était un objet artistique. En parallèle, il a racheté Pixar pour une bouchée de pain et c'est cette entreprise qui va le remettre sur le devant de la scène en 1995 à une époque où tout le monde pensait qu'il était has been. La sortie de "Toy Story" a remis Steve Jobs sur pied.
A partir du moment où il est retourné chez Apple, il s'est dévoué corps et âme pour cette société.


En fait, Apple est l'œuvre de sa vie...
- Il est devenu millionnaire lorsqu'Apple est entré en Bourse en 1980. Sa fortune s'est accentuée lorsque Pixar est entré en Bourse en 1995. De fil en aiguille, il est devenu le premier et le plus gros actionnaire de Disney quand ce dernier a racheté Pixar.


Qu'aurait fait Steve Jobs s'il n'avait pas crée Apple ?
- Il aurait brillé dans un autre domaine. Il se trouve que son époque était l'ordinateur. Mais c'est un individu qui transcende les époques.


Interview de Daniel Ichbiah, auteur de "Les 4 vies de Steve Jobs" (Ed. Leduc.s, 2011) par Sarah Diffalah

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